Peyresq 2019 > Edition 2019 - Les Livres-Mondes - Herbert-Banks-Robinson

La plupart du temps, les livres de science-fiction nous ouvrent la porte de nouveaux mondes, de nouveaux univers, de futuribles qu’ils esquissent le temps d’une suspension d’incrédulité ou de l’exploration d’une idée, de l’extrapolation d’une technologie. Mais, certaines œuvres majeures offrent autre chose qu’un dépaysement philosophique ou une promenade exotique. Elle « font » monde ; leurs auteurs, refusant de se contenter de livrer la carte d’un territoire imaginaire dans lequel se déroulerait leur récit, excèdent l’objet discursif ou la dimension narrative, pour dessiner des espaces physiques et psychologiques qui « existent » littéralement par la magie des mots ou du pinceau, fût-il numérique. 

La notion de Livre-Monde est souvent associée à des auteurs dont les œuvres magistrales s’entendent d’un ensemble de textes dont chacun contient l’intégralité des fondamentaux du monde, mais dont aucun ne suffit à lui rendre justice. Qu’il s’agisse de trilogie, de tétralogies, de cycles de nouvelles agencées par date, par personnage, par civilisation ou par continent, elles ne prennent tout leur sens qu’avec la fréquentation assidue ou le recul. Le cycle de Terremerd’Ursula Le Guin, celui de Majipoorde Robert Silverberg, ou encore Helliconiade Brian Aldiss, sont de ceux-là. L’amour de la liste, si chère à Umberto Eco, peut toutefois nous faire perdre de vue la quintessence du Livre-Monde. Le fantasme de l’exhaustivité, parfois, décourage le chercheur autant qu’il détourne le lecteur du véritable objet. L’existence d’un monde ne tient pas qu’à sa densité. 

Le corpus choisi par les organisateurs de ces Journées interdisciplinaires « Sciences & Fictions » pour l’étude de cette notion réunit Frank Herbert, Kim Stanley Robinson, et Iain M. Banks, parce qu’ils ont en commun, malgré leurs importantes différences, cette qualité d’évocation et l’absolue solidité de leur construction. Les mondes de l’Épice, la délicate terraformation de Mars, et les vicissitudes marginales de la Culture, participent sans aucun doute de cette essence même du Livre-Monde que les participants tenteront de cerner. Les sessions peyrescanes de cette année s’affranchiront, une nouvelle fois, des barrières disciplinaires, pour évoquer les métaphores géopolitiques, les acculturations décisives, et les soubassements logiques des Livres-Mondes, pour plonger dans les visions démesurées des artistes qui « font » parfois monde d’un trait de génie, d’un orbe ébloui, ou d’une simple perspective. 

 Et si, en définitive, les Livres-Mondes de la science-fiction étaient les meilleurs livres « du » monde réel ? Les seuls, au vrai, capables de nous dire la vérité philosophique, scientifique, et surtout culturelle, de ce que nous appelons, collectivement et individuellement, « monde » et qui, peut-être, n’est rien d’autre que l’écheveau de nos représentations héritées ou construites. Dire le monde, n’est-ce pas la fonction de la science, autant que celle de la fiction ?

Personnes connectées : 1